ARTISTES

Julie Béna / installation
Carole Benzaken / vidéo
Ariane Brun / photographie
Michel Castaignet / dessin
Céline Cléron / sculpture
Sébastien Delire / néon
Hervé Ic / abstraction
Vincent Labaume / collage
Thomas Lélu / geste
Xavier de Maisonneuve / figuration


Le dispositif médiatique et ses retournements


Par Stéphanie Katz

Premier constat : La dimension fascinante du dispositif médiatique est, depuis le début du siècle, venue alimenter une illusion aujourd'hui remise en question ; illusion selon laquelle les médias seraient un facteur de démocratisation et « d’épanouissement » de la société moderne. Or, l'ère post-moderne semble bien en avoir réalisé la contre-démonstration : c'est justement la dimension fascinante des médias qui s'est affirmée comme une puissance d'aliénation des imaginaires, et par là même comme une force de régression.
Pourtant, l'univers numérique, généralisant de nouveaux modes de transmission de l'information, a provoqué le retour du point de vue singulier et la déroute des conditionnements collectifs de l'opinion.

Dans le cadre du projet « 1, 2, 3, Hypnos », notre réflexion sera guidée par un faisceau de questionnements qui, partant de ce constat sociologique, envisageront les résonances de ces changements dans le champ de la création contemporaine:
- A quoi tient le phénomène de fascination du visible ?
- Comment et en quoi les médias ont-ils passagèrement réussi à s'approprier cette dimension fascinante qui opère sur un mode hypnotique?
- L'image n'est-elle que fascinante, ou contient-elle une puissance qui se retourne contre celui qui tente de l'instrumentaliser ?
Il s'agit de faire la démonstration du caractère fondamentalement inaliénable des regards, quand bien même l'histoire des hommes se révèle tissée de guerres de conquêtes des imaginaires. Hier comme aujourd'hui, l'image et l’imaginaire sont moins manipulables qu'il n'y parait.

de gauche à droite : Sébastien Délire, Carole Benzaken, Hervé Ic



de gauche à droite : Xavier de Maisonneuve, Vincent Labaume, Julie Béna,
Ariane Brun, Céline Cléron, Thomas Lélu, Michel Castaignet.

Julie Béna


C’est l’horizon qui a inventé le train. Lorsque pour les besoins de son émergence, la société industrielle décida de poser une règle graduée sur le sol. Mais c’est le train qui a inventé le traveling. Lorsqu’il devint approprié de contempler le territoire conquis, et nécessaire de transporter sur l’autre rive, les ressources humaines de sa prochaine expansion.
Cette course, Paul Virilio la voit naître sur un tout petit morceau de prairie, entre la zone de repos et la zone de pâturage. Une coulée. Une course effrayée pour survivre au prédateur. Une chasse linéaire. Un chemin de fer et de sang, horizontal, terrestre et temporel.

Train de nuit en zone péri-urbaine.
Renversant l’axe naturel des dimensions, comme sous l’effet d’un accident, d’une chute, le projecteur de Julie Bena essaime dans l’obscurité du cosmos des escarbilles de lumières. Ces trajectoires lentes, abstraites, en prise avec la pesanteur, évoquent tantôt les constellations géométriques d’un hyper-espace futuriste, tantôt les diagrammes pulsés d’une DCA de jeux vidéo.
Pourtant, une résonance sonore, de source bien réelle, nous ramène au rythme ferroviaire d’un autre voyage. Un voyage halluciné et visionnaire à travers la nuit d’une civilisation ravagée, déjà irréelle, et néanmoins familière.

Carole Benzaken


C.Benzaken fait une proposition qui embrasse les acquis de ses travaux précédents. Trois écrans disposés en triptyque diffusent la séquence infinie d’une marche. Un homme progresse à l’horizon d’un paysage qui hésite entre paradis et « no man’s land », zone frontière entre sable et océan. Alors que la progression du personnage renoue avec la linéarité des « Rouleaux de peinture », le morcellement en trois écrans de cette errance se souvient de la mise en grille moderniste des Tulipes ou de la série By Night, cherchant à contenir la fluidité du présent numérique. Mais ici, C.Benzaken superpose à la surface de son déroulé infini une seconde grille, picturale et aléatoire celle-là, qui troue et couvre simultanément l’ensemble du flux cinématographique. C’est toute une esthétique de l’épaisseur de l’image numérique qui se dévoile alors, pour mettre à nu les illusions narratives et rationnelles d’une image construite sur un mensonge mimétique. Tout se passe comme si, dans la course des dispositifs des regards, l’image-écran était en train de prendre le témoin à l’image linéaire. Ce faisant, la naïveté de l’image narrative cède le pas sous la force de proposition d’une image-écran, non plus illusionniste mais stratifiée, transversale, jouant des transparences et opacités de ses calques successifs. Dans cette mutation des regards, c’est une mutation de la pensée qui s’annonce.

Stéphanie Katz, 2009

Ariane Brun


Après
Il en va du geste de cet homme comme du mouvement des drapés et de la ligne serpentine chez Botticelli, non pas au titre d’une ressemblance ou d’un style qui rapprocherait cette photographie de telle ou telle peinture célèbre - rien de commun entre ces images, mais parce que son imitation s’applique au rappel d’une formule du pathos (pathosformel) dans la proximité d’une photographie de mode. Tout à son répertoire, la figure ainsi construite suggère la pose dynamique d’un sujet publicitaire, si n’était, déjà, le diptyque qui, moins que le leurre d’un départ de fiction, moins que l’agrément d’une fable ou d’une allégorie, recueille l’évidement de son iconographie. Ce n’est ainsi pas le sang qui fait de la photographie de mode qui l'inspire, une œuvre contemporaine, mais l’impossibilité d’y surprendre autre chose que la dégradation de son efficacité symbolique.


de gauche a droite : Julie Béna, Michel Castaignet et Thomas Lélu

Michel Castaignet


Blackdrawings

C’est un piège caverneux dans lequel résonnent encore l’éclat de la pierre et l’ombre des angoisses instinctuelles. Nous sommes revenus à la boite première, noire, obscura. Là où la conscience est en train de naître dans un mouvement de vrille affecté de vertige et de chair dans sa définition la plus protéiforme et la plus polymorphe.
Conscience de soi ? Pas encore. Juste avant. Elle ne sait pas qu’elle est, mais déjà elle a faim. Elle ne sait pas ce qu’elle veut, ni ce qu’elle voit. Elle perçoit. Elle est la définition la plus élémentaire du consommateur. Hermétique au monde, recroquevillée dans le canal cathodique le plus binaire de son autisme.
Un monde absolument binaire. Blanc Noir. Ligne / Surface. Mur / Trou. Silhouette, devenir, existence / Instinct de mort. Le désir est un horizon que la civilisation lui apportera bien plus tard, dans une autre existence, hors de cette boîte.
Mais là, à cet instant reptilien, l’impulsion commande et la pulsion agit. C’est le Graal absolu du dealer.
Le comte Ugolino della Gherardesca a-t-il dessiné à la craie le profil de ses enfants ? Songeait-il à Platon du fond de son caveau lorsque le piège s’est refermé sur lui ? On ne sait pas, mais Michel Castaignet l’a fait. Dans l’application radicale des addictions et l’analyse fondamentale des pathologies du mécanisme psychique, il y a pensé. Il a marqué d’un trait le seuil atteint par l’apnée de la conscience.

Céline Cléron


Céline Cléron prend soin du vivant et aime à le contrarier. Elle tente de retenir la vie un instant de plus à travers ses sculptures. Mais la vie ne s’arrête pas. Et dans l’immobilité de ce mouvement, ce qui reste là, sous l’œil éphémère de son étude, n’est pas la vie. Il reste des fibres, des liens, un réseau de disjonctions. Ce qui conduit la matière et ce qui induit la pensée ; c'est-à-dire une mémoire. Une mémoire du vivant selon la logique du vivant.

Miel, moutons, sel, fossiles

Comme les songes aiment à les assembler dans la fulgurance de leurs visions, les œuvres de Céline Cléron submergent l’esprit d’informations élémentaires du monde réel. Non cohérentes mais fonctionnelles, non explicables mais ressenties. Cette capacité naturelle de perception est le ressort même de la poésie.

Collerette, bustier, yoyo, cactus

La confusion de l’époque à travers les objets choisis par Céline Cléron tient sans doute à l’assimilation du concept de mémoire par son support. L’hypomnemata high-tech, objet numérique au service d’un média, fait de l’information une marchandise et de cette marchandise un non-lieu de la pensée. Soit, l’inverse des correspondances dont la mémoire au sens humain, se nourrit.

Remuant, volant, piquant. Quelques élytres piégés dans l’abat jour. Une lumière qui décline. Un bourdonnement dans le silence.


Céline Cléron a gauche, Vincent Labaume a droite

Sébastien Delire


Sébastien Delire est en soit une question, et ses œuvres n’apportent pas les réponses attendues. Tout juste suggèrent-elles une attitude, cette manière de surprendre, qui préfère être mal comprise plutôt que de s’expliquer.
Il navigue à distance des modes et des tendances. Entre ses œuvres on ne trouvera aucune ligne identifiable, aucune ressemblance particulière autre que l’esprit qui les anime. Il conviendra donc de les aborder avec philosophie, c'est-à-dire selon une dialectique appliquée à la cosmogonie contemporaine : ses jeux d’influence, la vanité du succès, la condition des masses et l’hypocrisie comme monnaie d’échange. Rien de moins. Mais avec poésie.

Où va le vent ?

Néon blanc, 2006

Il pourrait s’agir d’un aphorisme si l’œuvre était un média. Mais le discours, est intérieur, ruminant.
Pour assurer son coup, un marin sous les étoiles ne s’y prendrait pas autrement. Il a sa morale et ses vérités tatouées. Il a une existence, un destin. Il a cartographié depuis longtemps les échanges et les flux pour échapper aux puissantes illusions qui déstabilisent, qui déroutent, qui asservissent le jugement.
Il a une furieuse envie de foutre le camp.
Il dit : « l’homme a abandonné sa liberté ».

Hervé Ic


Telle une étoile de Zorio,
Des sensations spatiales,
Une sorte d’autorité, fascinante, sinusoïdale,
Plus l’image d’une peinture, mais sa source lumineuse.

Entre la matérialité radiante de la peinture et l’immatérialité illuminante des couches successives posées sur la toile, là où il pourrait y avoir obstacle, il y a réflexivité, une convergence qui s’établit dans la matière même, et par le traitement organisé de la peinture dans son cercle vibratoire. C’est la nuit qu’il est beau de croire en la lumière, songeait Edmond Rostand, et c’est dans la nuit aussi que brillent les étoiles de Zorio. Les peintures de lumière, de jour, de nuit, éclairent, dans une sorte de transe visuelle sinusoïdale.

Ces tableaux ne se donnent pas à voir, ils imposent une force dont on ignore la cause, présence d’une volonté transfigurée, volonté de puissance du tableau. Il en résulte une sorte d’autorité fascinante, opprimant le regard, et qui produit une sensation totale, spatiale. Ces oeuvres ne sont pas des peintures abstraites, elles matérialisent davantage des images dégradées ou rétrogradées à l’essentiel, pulsions jaillissantes d’entités absentes.

Frédéric Bouglé, 2007
Extrait de Hervé Ic, Des halos de peinture « glam électro » sur principe hétérogène, et sous comédie humaine,
collection mes pas à faire au Creux de l’Enfer

Vincent Labaume


De quoi se réassurer par rapport au contenu de son assiette (Triptyque), 2009.
Collage et techniques mixtes sur carton.

Le désir, je schématise. Le réel, non. Je l’hallucine. Par quels moyens ? Le sujet de ce triptyque.
Le corps est un montage (Marcel Mauss). Le désir est un montage d’une image de corps sur un autre. Monter sur son modèle pour jouir, ou monter sur ses parents pour accéder à la consommation, c’est le lot commun. La pornographie dérobe habituellement ce montage en faveur d’une unité spectaculaire : ce cul-là. Aussi monter un cul-là par-dessus l’autre, c’est nier l’un & l’autre, pour un cul possiblement supérieur, la tête coupée, le trou du cou ?... Car le collage s’émancipe du colleur (voyeur) et caresse d’autres montag(n)es d’images. Bizarre sabbat d’attouchements des figures et des produits au sommet de leur représentation séparée… La consommation érige ses produits dans le vertige. Une fente bée entre ces divers ordres, qui fait penser à la raie noire de l’horloge, les deux aiguilles alignées sur le midi. Théorie de la consommation : qui tient le cycle dans ses représentations jusqu’au cadavre tient bon debout, à genoux, couché. Fin du cycle : embaumement, relique, art (techniques viles + figures datées = histoire de l’art). Icône du cycle sur fond plat cartonné doré pour tarte ou gâteau, ici à parts égales, prédécoupées pour être dégustées en famille (comme le melon de Monsieur de Saint-Pierre). Mais alors le réel, il s’hallucine ? S’il tient bon, lui aussi, n’est-ce pas comme un dernier bouton fermé sur le manteau d’ingratitude du visible ? Oh ! Poète ! Non : un simple disque de plastique noir moulé à l’imitation des boutons de marins. Certes, il porte une croix potentiellement gammée (de loin). Attention ! Il y a Histoire et contrefaçon : sous l’objet en litige, du vaguement peint, du vaguement corps, du magma collé, une fausse nappe jaune citron et un emballage doré, pliage en croix. Entre le réel et le magma, la spire, le ressort, la tension. Tout ceci fait-il penser tout faux ? Et les restes, alors ? Sur la limite externe d’un plat à pizza, faites un tracé cycloïdal des désirs passant par la bouche et l’œil et qui se rejoignent sans faire boucle au centre, formant une consternante conjonction binoculaire : pierre et noyau. En ce dernier stade des reliefs (alimentaires de table et optiques de près), vous obtenez d’inconsommables promesses et une tête à toto qui crache son schéma. De quoi se réassurer par rapport au contenu de son assiette.

Vincent Labaume, Clichy, 27 février 2009

Thomas Lélu


Pin up, 2008

On est surpris par la délicatesse des œuvres de Thomas Lélu.
Alors que les magazines de charme nous écrasent de leurs cosmétiques en papier glacé il semblerait plutôt logique de leur rendre une marque de rustre mépris tel le pâle et informe crachat. Par exemple.
Mais non. C’est un contresens.
L’œuvre est au dessus de ces actionnismes communs.
Dans un geste de sublimation verticale, Thomas Lélu corrige l’une et l’autre.
A l’image il offre la chair qui lui manque. Une épaisseur sensuelle, malléable, tactile, et même thermique, chaude ou froide suivant qu’il convienne d’orienter le climat. Une note rythmée, aussi, furtive ou pesante, longue ou courte, parfois brusque, mais ferme et autoritaire ; c’est ce qu’on appelle une caresse.
A l’autre, au crachat, il achète une conduite. Une tenue de circonstance. Une robe chromatique qui s’étale sur une gamme de texture plus que généreuse. Veloutée, pailletée, mate, satinée, chocolatée même lorsque l’adéquation au corps évoque un vêtement familier. C’est un voile de pudeur sensible, jusque là absolument inaccessible à sa condition première.

Cette image n’est plus célibataire. Elle élève le regardeur, tient compagnie et apaise les sens.
Là ou nous étions en crainte de réprimer un réflexe pavlovien, se révèle un touché michelangelesque.

Xavier de Maisonneuve

EXO n-oz, huile sur toile, 162 x 97 cm, 2009,
Autoportrait aux orthèses.

Il est 21h30, ce matin. box132. L'horloge digitale ne semble pas avoir beaucoup évolué depuis la dernière fois. Pas autant que moi en tout cas. Je me sens bien. Les médicos du bloc H ont fait un sacré boulot. Mon corps est stomisé de leurs sciences, et pourtant je n'en ai aucun souvenir. Une post-amnésie parfaite à 3 minutes du simili-coma.
Sensation de bien être. Inhabituellement agréable, d'ailleurs. Je vais tenter un mouvement.
Orthése de poignet. Pol'ax1 à gauche. Gauche.
Genou gauche. Irom a droite. Coude droit. Je me redresse, un peu.
Attelle thoraco-brochiale. Aucune douleur. Rien.
Plier, pivoter. Stop. Pas trop. Assis. Etirer. Rien.
Debout. Douucement. Je gliisse. Très bien.
Le drap glisse aussi.

Dans les reflets de la baie, c'est moi. Je crois. Il faudra s'habituer. On m'avait dit que ça pouvait surprendre, mais ça va. L'Ego thérapie, je suppose. Bon choix. Pas cher en plus. Donc, c'est moi.
Sourire. Griimace. Re-sourire. Trop cool.
Au-dehors le ciel est superbe. C'est ce qu'on appelle un printemps indien. Les strates d'oxyde atmosphériques dessinent des cercles de lumières roses, autours des pôles. Pas respirable, mais très joli. Les humains sont instables. Relié au monde extérieur, leur corps est une console de souffrance inutile. Inutile.
Maintenant, donc, l'avenir est radiieux.
Expertise n°52396, sans suite.

Spécial Thanks

Nous tenons à remercier les personnes ayant contribué à ce projet, tout particulièrement Stéphanie Katz, les artistes Julie Béna, Carole Benzaken, Ariane Brun, Michel Castaignet, Céline Cléron, Sébastien Delire, Hervé Ic, Vincent Labaume, Thomas Lélu, Xavier de Maisonneuve, la Galerie Defrost, la galerie Nathalie Obadia, la galerie Nivet-Carzon, Christine Duchiron-Brachot, la galerie Hervé Loevenbruck, la galerie Dominique Fiat.